CICE un coût exorbitant sans création d’emploi

Médiapart, 19 juillet 2016, Martine ORANGE

Trois ans après son entrée en vigueur, un rapport sénatorial tente d’établir le premier bilan du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le constat est accablant : le dispositif coûte 1 % du PIB de la France chaque année, sans qu’il soit possible d’en mesurer les effets tangibles. Un gaspillage d’argent public.

Depuis 2013, l’État a reversé 48 milliards d’euros aux entreprises, grâce au dispositif crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Pour quel résultat ? Personne ne sait en chiffrer l’impact. Alors que François Hollande a annoncé son intention d’augmenter les allégements consentis à toutes les entreprises pour les porter de 6 % à 7 % de la masse salariale jusqu’à 2,5 fois le Smic, un rapport de la commission des lois du Sénat, présenté par la sénatrice (PC) Marie-France Beaufils, mardi 19 juillet, prouve que cette mesure phare du quinquennat est pratiquement sans effet, sauf sur les finances publiques. « Le CICE peine à démontrer tant sa pertinence dans sa forme que son efficacité sur le fond », résume-t-il.

La conclusion n’est pas surprenante. Dès son adoption en novembre 2012, de nombreux parlementaires avaient dénoncé cette mesure coûteuse, accordée sans distinction, sans justification et sans contrepartie. S’appuyant sur le rapport Gallois, qui préconisait un allégement des charges pour renforcer l’industrie, le gouvernement avait balayé toutes les critiques. Comme le dispositif était passé sous la forme d’un amendement à la loi de finances, il n’avait même pas fait l’objet d’une étude d’impact, comme le prévoient les textes. Qu’importe ! Le président du Medef, Pierre Gattaz, avait fait l’évaluation pour le compte de tous : le CICE allait permettre de créer 1 million d’emplois, assurait-il.

Trois ans plus tard, le compte n’y est vraiment pas. Le comité France stratégie, piloté par Jean Pisany-Ferry, chargé d’évaluer l’efficacité du CICE, n’a jusqu’à présent donné aucun chiffrage sur les emplois créés grâce à cette aide. Un rapport de l’OFCE de décembre estime que ce système de crédit d’impôt a permis de créer ou de sauvegarder 140 000 emplois. L’Insee, de son côté, chiffre l’impact du CICE à 160 000 emplois entre 2013 et 2016. Entre le soutien et l’effet d’aubaine, la différence devient à ce stade impossible à établir.

Pourtant, de nombreux économistes, soutenus par le patronat, l’assuraient : l’allégement des cotisations sociales allait mécaniquement favoriser les créations d’emploi.

C’est l’aspect le plus criant et le plus décevant du CICE. Mais ce n’est pas le seul. Lorsque le gouvernement avait fait adopter le CICE, il avait mis en avant la nécessité de défendre l’industrie, les entreprises innovantes, les toutes petites entreprises. En un mot, toutes celles qui sont les plus exposées à la concurrence internationale et les plus fragiles.

À l’arrivée, le rapport constate « l’éloignement du dispositif par rapport à sa cible initiale ». C’est le commerce, et en particulier la grande distribution, qui est le premier bénéficiaire du dispositif, aux côtés de l’industrie. Les deux secteurs profitent chacun de plus de 19 % des aides. « Il est significatif que l’industrie ne soit que péniblement le premier secteur concerné (…). Moins d’un cinquième de la créance est donc destiné à la cible du CICE », relève le rapport.

Le même déraillement s’observe en fonction des tailles des entreprises. Le CICE, qui devait être un outil de soutien pour les plus petites entreprises, est dans les faits« majoritairement capté par les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises, alors même que celles-ci représentent moins de 1 % des dossiers », constate le rapport. Ainsi, en 2014, les grandes entreprises ont bénéficié de 30,2 % des crédits d’impôt accordés par ce biais, tandis que les PME en ont récupéré 32,7 %.

Ces aides semblent avoir été totalement intégrées dans le fonctionnement des entreprises. Depuis deux ans, leur taux de marge s’est nettement amélioré. Au premier trimestre 2016, celui-ci s’est établi à 32,1 %, soit son plus haut niveau depuis le début de la crise financière de 2008, selon l’Insee. Le CICE a-t-il été une des causes de cette amélioration ? Là encore, il n’existe aucune donnée permettant d’en mesurer l’impact, même si des économistes pensent que les milliards d’aides accordés par l’État ont certainement contribué à ce redressement. L’investissement, même s’il commence à repartir, tarde cependant à retrouver une véritable dynamique, surtout après des années de gel.

Des créations d’emploi en nombre très limité, des grandes entreprises (et en particulier la grande distribution) plus aidées que l’industrie et les PME, des taux de marge qui se restaurent mais qui ne débouchent pas forcément sur des investissements… ce bilan justifie-t-il que le gouvernement mette les finances publiques en danger ? D’autant que le dispositif vient s’ajouter aux dizaines de milliards d’aides déjà accordées aux entreprises, sous la forme de la compensation aux 35 heures, du crédit impôt recherche, des allégements multiples.

Car le CICE se révèle coûteux, de plus en plus coûteux. Le tout sans aucun contrôle de cet argent public, puisque l’État accorde les allégements sur la seule foi des déclarations des entreprises. En 2013, le coût de ce crédit d’impôt était de 11,3 milliards d’euros. En 2015, il s’élève à près de 19 milliards d’euros. Le poids de cette mesure grossit à vue d’œil : le montant devrait dépasser les 20 milliards d’euros en 2020. Si l’allégement passe de 6 % à 7 % de la masse salariale à partir de 2017, comme le souhaite François Hollande, le coût du CICE passera de 19,7 à 23 milliards d’euros dès cette année-là.

« Un tiers des recettes de l’impôt sur les sociétés est amputé par le CICE. La mesure représente déjà 1 % du PIB », constate la sénatrice Marie-France Beaufils. Alors que l’État et les collectivités locales sont pressés de toutes parts pour faire des économies, ce dispositif qui revient à disperser de l’argent public sans discernement et sans contrôle lui semble un véritable gaspillage. Pour la sénatrice, il est urgent de réviser le CICE et de revenir à des aides beaucoup plus ciblées et mieuxcontrôlées.

« Compte tenu des sommes engagées, cela devrait normalement ressortir dans la dynamique de nos territoires », remarque-t-elle. Le rapport sénatorial recommande de« redéployer une partie des fonds consacrés au CICE dans des plans d’investissement en faveur des infrastructures et de la transition énergétique ». Bref, une vraie politique publique et budgétaire. De bien vilains mots pour le gouvernement et la libérale Europe. Sous ses airs de rigueur, la Commission européenne a largement applaudi en mai ce déversement sans contrôle d’argent public, jugeant que le CICE avait été une bonne mesure qui avait permis d’abaisser le coût du travail en France.