Le revenu de base n’aura pas lieu

En tout cas, pas tout de suite… Par bien des aspects, le débat sur le revenu de base rappelle celui sur la «flexicurité» qui avait marqué la campagne présidentielle de 2007. En effet, ce qui est au centre du débat, c’est une expression, un mot,plus qu’un dispositif précis.

Pour ne donner qu’une idée de son indéfinition : selon les versions sont envisagés des montants variant de 500 à 1500€ ; certains envisagent le redéploiement de budgets sociaux existants, tandis que d’autres envisagent une augmentation substantielle du niveau des dépenses sociales (et donc des «prélèvements obligatoires») ; enfin, les projets divergent selon qu’ils recommandent de substituer le revenu de base à tout ou partie des dispositifs existants (chômage, assurance maladie, salaire minimum…).

Il va sans dire que selon la réponse à chacun de ces aspects, cela n’a rien à voir : un abandon du système d’assurance chômage - et comme l’avancent certains, du système d’assurance maladie - remplacé par un revenu minimal, constituerait un démantèlement fort de l’État social, et un dégagement complet pour les entreprises de leur responsabilité sociale. À l’inverse, un revenu à 1500 € pour tous les individus, sans remise en cause des dispositifs existants (maladie, retraite, dépendance, voire chômage) serait une avancée considérable qui n’a rien de techniquement impossible, mais qu’on a du mal à envisager sans une modification considérable du rapport de force social, à la fois national et international.

Du fait de cette définition flottante, par bien des aspects, le «revenu de base» semble être davantage un slogan qu’un projet de réforme, un thème, ayant pour fonction d’occuper le terrain du débat social et pour effet de désorienter le débat, notamment en organisant la confusion entre aspirations progressistes bien réelles et sincères et une feuille de route ultra-libérale qui ne l’est pas moins. Par ailleurs, l’observation des changements récents et anciens montrent qu’en matière d’évolutions - même très substantielles - de l’État social, les réformes incrémentielles sont plus fréquentes et probables que les «big bangs» (passer par-dessus bord un système existant, pour mettre en place un système unifié et unique). Or,le revenu de base est très souvent présenté comme une réforme de rupture qui pourrait être mise en œuvre un jour prochain. Il apparaît peu réaliste de le considérer comme tel (pour des raisons davantage politiques qu’économiques).

Il y a donc quelque chose d’artificiel au fait que chacun soit sommé de prendre position sur ce débat, «pour ou contre», comme s’il s’agissait de réagir à un texte de loi en cours d’élaboration, ce qui n’est pas et ne sera pas le cas dans un avenir prochain. Dans le même temps, des sujets déjà à l’agenda, dans les champs des politiques sociales et de l’emploi (32 heures, indemnisation du chômage, minima sociaux, services publics, environnement / travail et santé, assurance maladie, dépendance, intermittence, retraite…) ont parfois moins d’écho. Or, ils mériteraient largement une intervention urgente, pour contrer les attaques et préfigurer des progrès possibles.

En tant qu’horizon de débat, en revanche, la thématique du «revenu de base» est susceptible de produire des effets idéologiques en pesant sur l’orientation générale des politiques futures (comme en ont produit précédemment les débats sur la flexicurité ou sur une «révolution fiscale»). À ce titre, il est difficile de tout à fait négliger ce sujet, du fait même de la place qu’il occupe, sinon dans l’opinion, au moins dans les cercles militants, et les médias.

Lire la Note économique de la CGT, spéciale Revenu de base