Loi travail et débat à l’assemblée : les outils d’un débat anti-démocratique

Depuis l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi « Travail », nous assistons à l’enlisement du gouvernement, qui n’arrive pas à rassembler une majorité sur ce texte.

Le Gouvernement décide donc de passer en force. 

Le 9 mai 2016, lors de la 3ème journée de discussion sur le projet de loi, la ministre du Travail a décidé d’utiliser la technique dite des « votes bloqués », mise en place par l’article 44 alinéa 3 de la Constitution. L’article 44 al. 3 de la Constitution précise en effet que « Si le Gouvernement le demande, l'Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. » Concrètement, cela signifie que le Gouvernement réserve les votes, c’est à dire empêche les députés de voter les amendements et les articles au fur et à mesure. Nous assistons donc à des débats sans vote, ce qui affaiblit considérablement le rôle de l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement a recouru à cette technique, car il n’y avait pas assez de députés pour obtenir une majorité lors des votes. La ministre a donc tenté de réserver les votes espérant gagner du temps jusqu’à ce que des députés favorables à la loi soient assez nombreux dans l’hémicycle, en vain. 

Les débats ont donc été très laborieux et la tension au sein de l’hémicycle est montée d’un cran lors de l’annonce de la ministre, car cette réserve des votes. L’impasse dans laquelle c’est enfermé le gouvernement aboutit à l’annonce d’un recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, qui est le deuxième outil dont use le gouvernement pour passer en force. 

Le recours à cet outil constitutionnel doit être décidé en Conseil des ministres, sur proposition du Premier ministre. 

Un Conseil des ministres extraordinaire a donc été convoqué le mardi 10 mai à 14h30 (pourquoi n’ont-ils pas attendu le Conseil des ministres ordinaire du mercredi 11 mai ?) pour se positionner sur le recours au 49 al 3. À peine 30 minutes plus tard, la question était tranchée, le Gouvernement autorise sans surprise Manuel Valls à utiliser le 49 al 3. 

De ce fait les débats parlementaires sont suspendus, maintenant deux issues sont possibles :

  • Soit une mention de censure signée par au moins un dixième des députés (soit 58 députés) est déposée dans les 24h. Elle sera alors discutée et votée par l’Assemblée au minimum dans les deux jours suivants.
  • Si la motion est rejetée, le projet de loi est réputé adopté en première lecture. La procédure législative poursuit son cours, le texte sera alors transmis au Sénat pour y être débattu, et reviendra devant l’Assemblée nationale pour l’adoption définitive. Il est alors très probable, comme cela a déjà été le cas pour la loi Macron que le Gouvernement utilise à nouveau le 49 al 3 en seconde lecture, pour forcer l’adoption du texte par l’Assemblée nationale.

Si la motion est votée (elle doit pour cela recueillir le vote de 289 députés), le projet de loi n’est pas adopté, et le Gouvernement est renversé, il devra démissionner. Cela signifie que le président doit reconstituer un gouvernement, la menace de l’alternance n’est donc pas valable. Le problème est que les motions de censure sont très majoritairement déposées et soutenues par l’opposition, en l’occurrence la droite. Les députés de « gauche » ont donc des difficultés à voter la motion issue des députés des partis de droite.

Soit aucune motion de censure n’est déposée, le projet de loi sera considéré comme adopté dans sa globalité en première lecture. Le projet adopté est celui présenté à l’Assemblée nationale complétée des amendements retenus par le Gouvernement. La procédure législative se poursuit selon ses modalités classiques avec toujours le risque d’un nouveau 49 al 3 en deuxième lecture.   

Il s’agit donc pour le gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte. Soit le texte est adopté et le Gouvernement est maintenu, soit le texte est rejeté et le gouvernement doit démissionner. L’article 49 al 3 est donc un acte d’autorité par lequel le gouvernement bloque tout débat à l’Assemblée nationale et empêche donc toute évolution du texte. Cet article est donc un aveu de faiblesse, car il permet, lorsqu’il n’y a pas de majorité en faveur d’un projet de loi, de faire adopter le texte sans vote.

Ce procédé ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire (donc une fois par an sauf session extraordinaire). Lors de la dernière session le 49 al 3 avait été utilisé 2 fois dans le cadre de la loi Macron, mais les débats avaient alors été menés à leur terme ce qui constitue une différence de taille et démontre que ce gouvernement est de plus en plus fébrile. En effet, il refuse même que le débat ait lieu. 

Petit Rappel :

  • 74 % des Français se disent opposé à ce projet de loi, 48 % demandent le retrait,
  • François Hollande le disait lui-même en 2006 lorsqu’il était premier secrétaire du Parti socialiste et qu’il condamnait le recours à l’article 49-3 lors des débats sur le CPE : « Le 49-3 est une brutalité, le 49 al 3 est un déni de démocratie, le 49-3 est une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire ». Pourtant le 49 al 3 a déjà été utilisé 2 fois par le Gouvernement Valls, pour faire passer en force la loi Macron. Si cet article était utilisé pour le projet de loi travail, se serait donc la troisième fois. À titre de comparaison, l’article 49 al 3 n’a été utilisé qu’une seule fois sous la présidence de Nicolas Sarkozy pour faire passer le CPE…
  • Manuel Valls avait, lors des débats sur la loi de modernisation des institutions en 2008, proposé un amendement limitant le recours au 49 al 3 aux lois particulières (loi de finances, ou loi de financement de la Sécurité sociale). Il précisait également qu’il était indispensable que toutes les autres lois fassent l’objet d’un vote.